Opportunité  dans l’adversité

La pandémie du COVID-19 a bouleversé la vie des peuples du monde entier, ce qui pose une urgence de santé publique sans précédent. La confiance dans les systèmes de santé dans le monde a été ébranlée. Les soins standard actuels pour la prise en charge clinique du COVID-19 ont des limites, en particulier pour traiter les problèmes de santé immunologique et mentale. Le test de toute connaissance n’est pas seulement la philosophie mais sa capacité à transformer et à résoudre des problèmes réels. Les approches et les solutions sont forcément différentes selon les systèmes de connaissances. Il n’est ni scientifique ni éthique d’ignorer une solution plausible simplement parce que sa logique est différente d’un système de connaissances dominant. Ignorer le potentiel d’AYUSH dans la gestion du COVID-19 semble être biaisé en raison des préjugés de la biomédecine occidentale. Cependant, les tendances récentes émergeant d’études cliniques dans différentes villes soutenues par le ministère de l’AYUSH (MoA) indiquent que les interventions d’Ayurveda et de Yoga peuvent contribuer à la prévention ainsi qu’à l’amélioration du temps de récupération et du taux de prise en charge du COVID-19. Tout en adhérant aux normes de qualité, d’efficacité et de sécurité, il est raisonnable, éthique et juste d’intégrer des mesures AYUSH rentables pour la gestion du COVID-19. L’adversité créée par la pandémie de COVID-19 ouvre une opportunité pour des réformes attendues depuis longtemps dans le système de santé. Il peut être prudent de briser les silos disciplinaires et de passer d’un système basé sur la pathologie, à des soins de santé holistiques centrés sur la personne.

La vision de l’honorable Premier ministre pour une «nouvelle Inde», englobe une Inde saine où sa propre culture, ses traditions et ses systèmes de connaissances peuvent en faire un modèle. La biomédecine occidentale communément appelée allopathie reste le système le plus préféré. Un vaste cadre conceptuel et toile de l’Ayurveda, le Yoga en particulier un concept de Swasthya va bien au-delà de la notion typique de «médecine». Reconnaître la valeur des connaissances anciennes pour faciliter les découvertes modernes peut aider à réimaginer le système de soins de santé intégratif pour Atma Nirbhar Bharat [1]. L’Inde se voit offrir une occasion unique de créer un nouveau modèle mondialement pertinent de sciences de la santé intégratives grâce à des réformes de la recherche médicale sur la santé, de la pratique clinique et de la santé publique.

Dans le passé, le Comité Bhore (1946) a adhéré à la stratégie de Macaulay et a écarté les systèmes de médecine indiens (ISM) donnant à la biomédecine occidentale un monopole. Cependant, plusieurs chercheurs nationalistes, dont Sir Ram Nath Chopra (1948), KN Udupa (1958), H R Nagendra (2016) et le Dr Vijay Bhatkar (2019), ont souligné la nécessité d’une intégration fondée sur des preuves de l’ISM dans le système de santé. Le 12e plan quinquennal (2012-2017) suivi de la politique nationale de santé (PSN) 2017, de la politique nationale d’éducation (NEP) – 2020 et de la mission nationale pour la santé numérique (2020) ont fortement plaidé pour la nécessité d’exploiter le potentiel des systèmes AYUSH  en les intégrant aux soins de santé traditionnels.

2. Besoins nationaux

Les besoins de santé de base des Indiens sont : 1) la médecine familiale, 2) les soins primaires 3) la prévention des maladies et 4) la promotion de la santé publique. Pour répondre à ces besoins, chaque médecin indien a besoin de connaissances et de compétences pertinentes tirées de l’Ayurveda, du yoga et de la biomédecine occidentale. Pour atteindre les objectifs de développement durable, l’Inde a besoin d’un système de santé intégré (SSI) pour garantir des soins de santé équitables et universels. Dans un premier temps, nous devons définir «l’intégration» dans le contexte indien. L’intégration n’est pas une simple colocation, des cours de transition ou une pratique mixte. Le système de santé intégratif en Inde doit être articulé sur sa propre culture, ses propres valeurs et sa propre philosophie.

Les progrès scientifiques modernes en biotechnologie, diagnostic et chirurgie ne doivent pas être perçus comme le monopole de la biomédecine occidentale. Les capacités de l’Ayurveda et du Yoga dans la prévention des maladies, la promotion de la santé, la gestion des conditions psychosomatiques et chroniques ainsi que l’amélioration de l’immunité et de la santé mentale doivent être correctement reconnues. Ensuite, ils peuvent être adoptés. Une véritable intégration doit impliquer un esprit de respect mutuel et la volonté d’apprendre des différents systèmes de connaissances, qu’ils soient occidentaux ou orientaux. Les Indiens ont besoin de soins de santé holistiques abordables et centrés sur la personne. Ils doivent être habilités à prendre soin de leur propre santé. Pour répondre à leurs besoins, des réformes des soins de santé sont nécessaires principalement dans l’enseignement médical, la recherche en santé, la pratique clinique et la santé publique.

3. Enseignement médical

Comme suggéré par NEP 2020, «l’éducation aux soins de santé doit être repensée afin que la durée, la structure et la conception des programmes éducatifs correspondent aux priorités nationales et aux besoins réels de la population. L’éducation médicale de base doit être intégrative, ce qui signifie que tous les étudiants du système allopathique doivent comprendre les bases de l’AYUSH et vice versa ». Actuellement, l’Inde compte deux filières distinctes choisies par la plupart des diplômés en médecine, l’une représentant la biomédecine menant à un doctorat en médecine, un doctorat en chirurgie (MBBS), et l’autre représentant les médecines de l’AYUSH. Les deux systèmes proposent des cours de même durée; aussi, leurs programmes ont des chevauchements majeurs, en particulier dans les sujets précliniques et para-cliniques. Le programme indien d’études supérieures en médecine de base devrait être en mesure de respecter notre patrimoine de connaissances, de reconnaître les priorités nationales et de comprendre les besoins réels des populations. L’Inde doit mettre davantage l’accent sur les déterminants de la santé et les soins de santé primaires, la médecine familiale et communautaire, la prévention des maladies et la promotion de la santé publique. Elle doit se concentrer davantage sur la prévention des maladies et la promotion de la santé en renforçant les soins primaires et la médecine familiale.

La première étape des réformes du système de soins de santé doit se situer au niveau de l’enseignement médical de base du premier cycle. Nous devons tirer les leçons des diverses expériences que d’autres pays ont menées pour transformer l’enseignement médical. Le rapport historique d’Abraham Flexner (1910) qui a transformé l’enseignement et la pratique de la médecine aux États-Unis et au Canada demeure un point de repère historique. Les normes mondiales en matière d’éducation médicale prescrites par le Forum mondial sur l’éducation médicale (WFME) recommandent également que l’interface avec la médecine complémentaire commence au niveau du premier cycle. La Fondation pour l’avancement de l’éducation et de la recherche médicales internationales (FAIMER) préconise l’amélioration de la santé mondiale en améliorant la formation des professionnels de la santé en se concentrant sur les besoins locaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2002, a conseillé à ses États membres d’élaborer des politiques pour les systèmes médicaux traditionnels, complémentaires et alternatifs (T&CM) respectifs. De nombreuses universités médicales américaines et européennes ont adopté la médecine intégrative dans leurs programmes. La Chine présente le meilleur exemple de la manière dont la médecine traditionnelle peut être intégrée dans l’enseignement médical de base. Dans ce contexte, le PSN visionnaire 2017 et les réformes audacieuses de l’éducation médicale recommandées par le NEP 2020 peuvent rendre le système de santé indien plus inclusif et plus fort.

4. Recherche en santé

La recherche en santé est un domaine important qui ne devrait pas continuer à rester cloisonné. La structure indienne de la recherche en santé implique sept agences de financement différentes: le Département de la recherche en santé (DHR), le Conseil indien de la recherche médicale (ICMR) et les cinq conseils de recherche relevant du MoA. Plusieurs autres départements et conseils de science et de technologie soutiennent également la recherche biomédicale. Chacune de ces entités a des objectifs de recherche différents, sans grande synergie. Les priorités peuvent ne pas être alignées sur les forces nationales et les besoins sociétaux globaux. La recherche transdisciplinaire de haute qualité sur l’ISM ne doit pas se limiter à AYUSH, mais doit être encouragée à tous les niveaux. Le mandat du DHR doit être élargi pour couvrir tous les systèmes médicaux; il devrait devenir le point nodal national de la recherche intégrative en santé. Plus important encore, les nuances épistémologiques doivent être prises en compte pour la conceptualisation, la planification, la méthodologie et l’exécution de programmes de recherche à fort impact. La recherche en santé doit être basée sur les besoins locaux, pertinente au niveau national et bien alignée sur le mandat de la National Research Foundation de l’Inde. Enseignements tirés des programmes de recherche innovants du réseau national tels que le Golden Triangle Project, le New Millennium Technology Leadership Initiative, l’Ayurveda Biology et l’Ayu Genomics. Le renforcement de la culture de la recherche et le renforcement des capacités des jeunes étudiants et membres du corps professoral doivent être la priorité absolue. Une recherche transdisciplinaire de haute qualité sur les concepts de base de l’Ayurveda, du yoga et d’autres systèmes AYUSH peut ouvrir une opportunité de leadership mondial pour l’Inde.

5. Pratique clinique

Diverses études sur le comportement de recherche de santé suggèrent des préférences pour des systèmes de médecine pluriels, principalement motivés par les personnes elles-mêmes. Les médecins devraient être les gardiens de la santé, pas seulement les thérapeutes prescrivant des médicaments. Diverses politiques ont suggéré que les forces de l’ISM devraient être utilisées pour la prévention et le traitement, les praticiens peuvent ne pas s’engager activement dans l’intégration. La tendance mondiale de la médecine intégrative n’a pas pris l’élan nécessaire en Inde. L’intégration au niveau clinique nécessite une sensibilisation, une formation et des échanges croisés entre les médecins cliniciens modernes et les praticiens des systèmes traditionnels. Cette situation nécessite des réformes de l’enseignement médical et des réglementations. Les protocoles cliniques doivent être élaborés sur la base des expériences cliniques, des preuves scientifiques et des meilleures pratiques. Les connaissances traditionnelles sur la nutrition, les pratiques diététiques restent également précieuses, tout comme le mode de vie, les interventions comportementales et les approches de la médecine corps-esprit.

L’intégration clinique ne doit pas se limiter à la co-implantation et à la co-affectation, mais elle doit être motivée par une formation formelle et la prise en compte des besoins cliniques de base. Déjà, des modèles et protocoles intégratifs ont été développés, validés et mis en pratique dans quelques cliniques en Inde.

6. Santé publique

La pandémie COVID-19 a mis en évidence le besoin de soins de santé centrés sur la famille et la communauté. Le monde a pris conscience de la valeur de la prévention à domicile; également les limites des services curatifs. L’Inde doit se concentrer sur le renforcement des déterminants de base tels que la nutrition, le mode de vie, la génétique, l’environnement ainsi que les déterminants sociaux tels que l’assainissement, l’hygiène, l’eau et l’éducation. Le fardeau des soins secondaires et tertiaires peut être allégé en renforçant les fondements de la santé des personnes en utilisant une approche participative. Les systèmes AYUSH peuvent jouer un rôle important dans ce processus. Le triple fardeau de morbidité en Inde, qui comprend les maladies transmissibles, les maladies non transmissibles et les troubles du mode de vie, oblige les prestataires de soins de santé à posséder des compétences diverses et à suivre des modèles de soins de santé holistiques. La nation a besoin d’un nouveau cadre de mise en œuvre pour la mission nationale de santé afin d’apporter une coordination administrative, fonctionnelle et structurelle entre les différents systèmes de médecine. L’Inde a besoin de soins promotionnels, protecteurs, préventifs, curatifs, de réadaptation et palliatifs tout au long du cycle de vie. Fournir des règles du jeu équitables à plusieurs systèmes est une tâche complexe. Cependant, cela peut être mis en œuvre par étapes conjointement par le MOA et le MHFW. L’Inde a besoin de développer un modèle d’intégration pour des soins de santé équitables et universels, basé sur ses propres forces inhérentes.

7. Une nation – Un système de santé

Un système de soins de santé holistique centré sur la personne, basé sur la culture et l’éthique de l’Inde, développé en intégrant de manière optimale les forces de la science moderne, de la biomédecine et des systèmes AYUSH serait dans le meilleur intérêt des peuples de l’Inde. Le concept «Une nation – Un système de santé» doit être sérieusement envisagé en dissolvant les silos fondés sur le «pathy». Les progrès de la science et de la biotechnologie, les atouts de l’ISM et les avantages de la biomédecine pourraient être intégrés dans un cadre de soins de santé holistiques centrés sur la personne. Un système de santé ne doit pas être interprété à tort comme une tentative de monopoliser un système particulier ou une menace de perdre l’identité de quelqu’un. Un système de santé implique une intégration fondée sur des données probantes permettant aux meilleurs systèmes de connaissances disponibles de fonctionner dans le meilleur intérêt des personnes. Ce concept peut répondre aux besoins réels des personnes tout en maintenant les normes mondiales, les priorités et les besoins de la société. Partant d’une formation médicale de base intégrative, cette approche pourrait encourager la recherche transdisciplinaire, la pratique clinique centrée sur la personne et la promotion de la santé publique. Une telle approche pourrait transformer le système de santé publique de l’Inde, lui permettant de réaliser ses priorités nationales et de répondre aux besoins réels des peuples de l’Inde.
Reconnaissance

Merci à Darshan Shankar et Alex Hankey pour leurs précieuses modifications.

Reference

[1]

R.D. LeleAyurveda and Modern Medicine

Bharatiya Vidya Bhavan, Bombay (1986)

Google Scholar

Peer review under responsibility of Transdisciplinary University, Bangalore.

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